Avouons-le, observer les réseaux d’extrême-droite et confusionnistes, c’est aussi lassant que salissant, et bien contents que d’autres s’en occupent, nous avons lâché l’affaire depuis quelques années. Le triomphe de la fachosphère Q Anon sur les réseaux à la faveur de la désinformation antivax durant la pandémie de covid n’avait fait que nous dégoûter encore davantage. Et puis, à quoi bon observer les réseaux pour y dénicher les pièges confusionnistes tendus par les fachos quand la pensée fasciste s’exhibe désormais à visage découvert et décomplexé dans la plupart des grands médias et dans les institutions républicaines ?
C’est dire si nos anciennes têtes de turc comme Asselineau, Ariane Walter ou Chouard ne sont plus trop dans notre ligne de mire. Tiens, qu’est-ce qu’il devient Chouard, au fait ?
C’est sur ce questionnement très anecdotique que nous avons eu l’idée saugrenue d’aller jeter un oeil sur le profil d’icelui sur X (Twitter). On se souvient qu’après être devenu tricard à gauche à cause de sa proximité, entre autres fafs, avec le nazi demi-mondain Soral, Chouard avait essayé de se refaire une virginité, à la faveur du mouvement des Gilets Jaunes, puis s’était grillé à nouveau par des propos négationnistes. La pandémie de covid l’avait vu bien évidemment relayer toutes les théories conspirationnistes antivax les plus débiles, ce qui n’avait pas empêché Franck Lepage, lui-même filant un mauvais coton dans le registre covidosceptique, de remettre Chouchou en scène dans ses conférences gesticulées.
Bon, alors, qu’est-ce qu’il devient, Chouard, en 2024 ?
Voilà :
Il s’exhibe sur « Le Média en 4-4-2 », et le relaie fièrement.
Et qu’est-ce que ce « média » ? Eh bien, selon Streetpress, c’est tout simplement le faux-nez de Soral.
« Car si la plateforme l’a mis à la porte en juillet 2020, Soral est selon nos informations revenu par la fenêtre. Son nouveau faux-nez s’appelle Le Média en 4-4-2. Une chaîne YouTube lancée seulement deux mois après la fermeture de sa chaîne officielle. En vidéo sur ce nouveau canal, un certain Marcel D. – dont le visage n’apparaît pas –, explique que le Covid est un complot de l’État profond, des Juifs et des francs-maçons… Bref, sur le fond, c’est du Soral pur jus.
Le média indépendant Fact and Furious s’est penché sur le dossier. En creusant, ils ont notamment découvert que Marcel D. s’appelle en réalité Christophe J. Notre enquête nous permet d’aller plus loin. Une source longtemps proche d’Alain Soral explique à StreetPress que ce Christophe est l’une des petites mains qui, depuis des années, travaille avec Soral sur ses vidéos. Il est chargé par exemple de trouver des extraits et des documents pour habiller les célèbres vidéos du polémiste d’extrême droite qui pérore, avachi dans son canapé rouge. Et il est payé pour ça. StreetPress a également eu accès à de nombreux documents bancaires qui le confirment. Christophe J. est un auto-entrepreneur rémunéré depuis plusieurs années par Égalité et Réconciliation ainsi que Culture pour tous, l’association et l’entreprise dirigées par Soral. »
Bref, Chouard est toujours mouillé jusqu’au cou avec le vieux nazi.
On a coutume de cibler les fantasmes de complot dont usent et abusent les fachos sur les réseaux pour créer de la confusion et attiser les peurs et les haines.
Mais la fachosphère et les sectes New Age n’ont pas le monopole du complotisme.
Des éditocrates ayant leur rond de serviette dans tous les médias depuis des lustres peuvent eux aussi propager des fantasmes de complot tout aussi pétés que ceux de Kevin Conspi sur Facebook ou de Jennifer CuculAnon sur TikTok.
Ainsi, suite aux révélations faites par Médiapart sur un scandale de favoritisme impliquant le ministre macroniste Olivier Dussopt, ce sont ni plus ni moins que Nathalie Saint-Cricq et Jean-Michel Aphatie qui ont joué sur France 5 (donc sur le service public financé par nos impôts) les complotistes de bas étage. La première a ainsi osé dire que le timing de l’affaire Dussopt « est assez étonnant quand-même », tandis que le second trouvait que « la fuite est opportune ».
Alors même que sur Twitter, Antton Rouget, l’un des auteurs de l’enquête de Médiapart, rappelait que les premières révélations de son média dataient de 2020, et qu’au terme de deux ans d’enquête du Parquet National Financier, Olivier Dussopt et, au-dessus de lui, Elisabeth Borne et Emmanuel Macron, ne pouvaient pas ignorer que la nouvelle de ces soupçons contre le ministre du Travail allait « tomber », Jean-Michel Aphatie s’enfonçait même encore dans le conspirationnisme halluciné en affirmant que cette information tombant « 48h avant la discussion parlementaire sur les retraites, c’est quand-même too much ».
Quoi ? Il existerait une vaste conspiration impliquant la justice pour faire mettre en difficulté ce ministre juste avant le débat sur le projet de casse des retraites dont il est porteur ? Il y aurait donc une sorte « d’Etat profond » gauchiste capable de planifier deux ans d’enquête afin que l’affaire sorte juste à point pour aider le mouvement social de défense des retraites ?
Oubliez les chemtrails, les reptiliens sataniques et les vaccins nous injectant des puces en 5G des conspifafs habituels. Ces fantasmes de complot ne sont rien par rapport à ça. Même ce pauvre Jean-Michel Blanquer qui avait essayé de justifier le plantage des serveurs des outils numériques de l’Education nationale pendant le confinement par une attaque de hackers russes était petit bras à côté.
Croivez pas tout qu’est-ce qu’on vous dit. Nathalie et Jean-Michel sachent.
Dans Q comme complot, Comment les fantasmes de complot défendent le système, paru en 2022, Wu Ming 1, membre du collectif italien Wu Ming nous propose une passionnante étude de la généalogie et des ressorts de QAnon, ce mouvement né dans l’extrême-droite trumpiste qui a essaimé sur la planète à la faveur de la pandémie de COVID 19, et qui a contaminé jusqu’à d’éminentes personnalités de la gauche radicale française qui ont gobé à cette occasion les plus grossiers fantasmes de complot antivax.
Un passage du livre est particulièrement éclairant. Nous le reproduisons ici en invitant nos lecteurs et lectrices à aller lire le reste.
« Les idées d’un croyant en QAnon ou en d’autres fantasmes de complot étaient sans aucun doute irrationnelles dans leurs contenus, fondées sur des connexions absolument illogiques, mais la manière dont elles se formaient suivait des logiques précises. C’était le résultat de la façon de fonctionner de notre cerveau dans certaines conditions. (…)
En présence d’une stimulation, les fonctions du cerveau paléomammalien, et en particulier de l’amygdale, étaient les premières à entrer en jeu, puis venait le tour du cortex préfrontal. Ce dernier intervenait pour examnier les signaux d’alarme, réguler les émotions, nous faire raisonner. C’est sur cette base que le psychologue Daniel Kahneman avait introduit la distinction entre la pensée rapide du système limbique (émotionnel, impulsif, automatique) et la pensée lente du cortex préfrontal (analytique, prudent, contrôlé).
La pensée rapide nous avait permis de survivre en tant qu’espèce. Polidoro, dans son livre Il mondo sottosopra, écrivait : “Nos ancêtres qui vivaient dans la savane faisaient face aux lions, aux panthères et à d’autres menaces à leur survie, ils ne pouvaient pas se permettre de trop réfléchir. Il fallait décider vite si la silhouette sombre qu’on voyait dans les feuilles était un prédateur ou seulement un jeu d’ombre et de lumière : ne pas le faire pouvait signifier l’extinction. Il vaut donc toujours mieux fuir… plutôt que de s’arrêter pour vérifier.”
Sauf que le cerveau humain tendait aussi à fonctionner de cette manière dans un contexte très différent : la société capitaliste — complexe et en overdose d’informations — du XXIe siècle. Dans les moments de stress, de peur ou de colère, cela menait à commettre des erreurs, à prendre de mauvaises décisions ou à exprimer des jugements injustes avant que ne puisse intervenir la pensée lente. Nombre de préjugés ou biais qui conditionnaient nos vies découlaient de cela.
Ces dernières années, le court-circuit entre le flux continu et anxiogène des breaking news — très souvent bad news — et les algorithmes des réseaux sociaux qui poussaient à des réactions immédiates avait renforcé nos biais et avait non seulement accru la fréquence des erreurs, mais aussi accéléré leur propagation.
L’urgence COVID avait aggravé la situation. Avant les confinements, pour beaucoup d’entre nous, passer tout notre temps éveillé en ligne aurait été impossible, voire inconcevable. Il y avait des limites, des poteaux bien enfoncés dans le terrain : le travail ou l’école, le sport, les êtres chers, la compagnie des amis, les relations à entretenir… A la fin de l’hiver 2020, l’urgence avait déterré ces poteaux et, pendant de longs mois, la réclusion domestique, le bombardement de mauvaises nouvelles et l’impérieuse logique des réseaux sociaux avaient titillé notre pensée rapide, nous incitant à hausser de plus en plus le ton et à faire des choix catégoriques sans prendre le temps de réfléchir un instant.
Que se passait-il dans le cerveau de quelqu’un qui cédait à un fantasme de complot, que se passait-il lorsqu’il glissait dans le terrier du lapin ? (…)
Après notre précédent article pointant la dérive de Franck Lepage, nous avions tout de même espoir que celui-ci revienne à la raison, d’autant qu’il avait semblé vouloir prendre du recul sur la crise sanitaire et cesser de relayer des idioties raoultiennes sur sa page Facebook. Mais le camarade Lepage vient de récidiver, et nous sommes au regret de constater qu’il nous brouille l’écoute.
Lepage aurait pu se justifier par la mise en avant d’une conception absolue de la liberté d’expression. Il aurait alors pu dire quelque chose comme : « qu’on soit d’accord ou pas avec lui, qu’on estime qu’il informe ou qu’il désinforme, j’estime que Mucchielli doit pouvoir être publié ». On se serait alors contenté de lui dire qu’il pousse le Chomsky un peu loin. Mais il fait quelque chose de plus pervers : tout en se défendant de prendre position sur le contenu du billet incriminé de Mucchielli, il en défend en réalité totalement l’auteur et le propos. On ne fait pas plus faux-cul. Ainsi, il présente Mucchielli comme « un rigoureux sociologue directeur de recherche au CNRS, rôdé à la méthodologie de recherche autant qu’à l’étude des chiffres et des sources », mais se garde bien de dire que ce qui est reproché à Mucchielli dans ce billet, c’est justement d’avoir ignoré toute méthodologie quant aux chiffres et d’avoir carrément menti en faisant passer des données brutes de pharmacovigilance pour des morts causées par la vaccination, alors même que l’ANSM précise bien que « le nombre de cas de décès hors COVID rapporté au nombre de cas de décès déclaré au système de pharmacovigilance français est très inférieur au nombre de cas attendu de décès dans la population correspondante ».
Lepage s’emploie ensuite à diviser le monde en 2 camps. D’un côté les macroniens, de l’autre les autres. Par cet artifice d’un campisme qui aurait fait honte même à Truman et Jdanov, il rejette ainsi quiconque ose critiquer Mucchielli et sa clique du côté de la macronie. Il dresse d’ailleurs une liste d’experts critiques de la « politique vaccinale à marche forcée »… qu’il se garde bien de nommer individuellement, mais on reconnaît facilement derrière « les prix Nobel de médecine » le sénile Montagnier désavoué par l’ensemble de la communauté scientifique pour les propos délirants qu’il tient depuis des années, et derrière les « directeurs d’instituts de virologie de huit cents salariés (excusez du peu) » le druide Raoult et son usine à gaz sarkozyste (l’IHU de Marseille). Sans oser le dire explicitement, mais en le disant tout de même, Lepage campe donc sur les positions anti-scientifiques et complotistes dont on espérait déjà il y a quelques mois qu’il se départirait. On lui signalera en passant que des gens comme Alexander Samuel ou Christian Lehmann… chacun à leur manière, dénoncent depuis des mois les mensonges de la complosphère et des Raoult, Fouché, Perronne, Montagnier, ou Henrion-Caude mais aussi ceux de Macron et ses sbires. Critiquer le gouvernement, nous le faisons abondamment (et il y a de quoi faire !), mais cela ne nous oblige en rien à gober les délires de fascistes, de charlatans et de gourous new age. On avait décidément connu Franck Lepage mieux inspiré en matière d’éducation populaire.
Ayant sans doute appris à compter avec Mucchielli, Lepage assène sans frémir que : « environ trente millions de Français refusent le principe de la vaccination ARN ». Pourtant, au 11 août 2021, plus de 45,5 millions de Français avaient déjà reçu au moins une dose de vaccin (près de 80% des plus de 12 ans !), ce qui fait que moins de 22 millions de Français seulement n’ont pas reçu de vaccin. Parmi ceux-ci, certains attendent de pouvoir trouver un rendez-vous. Qui peut dire qu’ils refusent tous la vaccination ARN ? Lepage aurait-il des talents de voyance ? Il faut dire qu’il prétend avoir pu lire les pensées de ces 22 millions de personnes qui en valent 30 car il sait que celles-ci « cherchent des appuis journalistiques de qualité » mais déplorent qu’elles « ne puissent désormais plus compter sur Mediapart qui les considère comme une masse de gogos abêtis par la complosphère ». Refuser d’héberger de la désinformation raoultienne (qui a immédiatement trouvé refuge sur le blog trumpiste fRance Soir, forcément), ce serait donc prendre les gens pour des gogos ? N’est-ce pas plutôt le rôle d’un média comme Médiapart que de vérifier ses sources et de ne pas laisser passer des mensonges factuels ? En réalité, la critique qu’on pourrait faire à Médiapart, c’est d’avoir attendu aussi tard pour supprimer un délire de Mucchielli, qui, depuis le début de la pandémie, et en dépit de ses travaux passés en sociologie, ne fait que désinformer. Contrairement à ce que dit Lepage, l’acte de Médiapart n’a rien d’une « position de classe ». A moins de considérer que les classes populaires doivent se voir servir des infos non vérifiées, des erreurs factuelles et des mensonges délibérés, les infos fiables étant réservées aux classes dominantes ? Tant d’années d’éducation populaire pour en arriver là ! Notons au passage que Laurent Mucchielli, fils d’un agrégé de philosophie, neuropsychiatre, (déjà) chercheur au CNRS et commandeur de la Légion d’Honneur, est plus un héritier qu’un prolétaire, si on veut absolument se pencher sur la classe sociale des protagonistes.
Il nous faudrait d’ailleurs un sociologue compétent (non, on ne s’adressera plus à Mucchielli, et pour autant, au risque de surprendre les campistes, pas davantage à la fondation Jean Jaurès) pour faire une analyse sociologique du public de Mucchielli, Fouché etc. Pas sûr qu’on y trouve tant de jeunes prolétaires que cela. Si les jeunes et les classes populaires sont moins vaccinés que les vieux et les bourgeois, est-ce vraiment par hostilité envers les vaccins à ARN ? Ou est-ce par ce qu’ils y ont moins eu accès ? Pour ce que nous avons pu en voir nous mêmes sur les réseaux que nous observons, en tout cas, les plus fervents adeptes des thèses de Mucchielli, Réinfocovid etc. sont surtout des boomers dotés d’un certain capital culturel mais peu habitués à faire le tri dans la masse de données d’internet (tri que les plus jeunes, peut-être moins émerveillés devant un outil avec lequel ils sont nés, font plus intuitivement).
Plus grave encore, à la fin de son texte, Franck Lepage nous assène une opinion aussi tranchée qu’incongrue sur les « technologies ARN/ADN, c’est à dire la possibilité octroyée au pouvoir, d’agir sur notre identité profonde à travers notre machinerie cellulaire : le coeur de nos identités livré à l’Etat ». On croirait entendre un prêche d’Alexandra Henrion-Caude ou autre grenouille de bénitier illuminée prétendant que les vaccins vont changer notre ADN, ce qui est bien évidemment faux (poil au Vélot).
Croire que « la science est toujours du côté du pouvoir » aide peut-être Lepage à justifier la confiance qu’il accorde à des charlatans, nonobstant le fait qu’il semble particulièrement impressionnable par les arguments d’autorité dans le champ scientifique (Mucchielli directeur de recherche au CNRS, ça lui en impose, de même que Montagnier prix Nobel ou Raoult à la tête de « 800 salariés, « excusez du peu », et on l’excusera d’autant mieux du peu si l’on compte le nombre de salariés encore plus important sur lequel règne le milliardaire Bernard Arnault qui a mis son groupe de presse au service du buzz raoultien). Mais son postulat est faux : la science est loin d’être toujours du côté du pouvoir. Les spécialistes ne cessent de critiquer les mesures du gouvernement, comme le fait de dispenser les vaccinés du port du masque en intérieur ou de programmer une 3ème dose de vaccin pour les personnes à risque (alors qu’une sur cinq n’a même pas reçu la première dose et que les pays du sud en manquent cruellement).
Mais laissons le mot de la fin à Franck Lepage : « L’éducation populaire est un exercice coopératif du doute. Encore faut il que le doute ait droit de cité. » Et donc donnons droit de cité au doute face aux charlatans, aux falsificateurs, aux gourous et autres désinformateurs dont le camarade Lepage gobe hélas les affirmations sans aucun recul pour peu qu’ils aient quelque titre symbolique et le confortent dans son campisme. En sciences, un quidam peut très bien démontrer des biais ou des trucages dans le travail d’un mandarin bardé de décorations. Une falsification commise par le plus grand génie reste une falsification.
Lepage nous annonce une prise de position officielle de l’équipe de L’ardeur au sujet de la politique sanitaire à la rentrée de septembre. Rien ne presse. Il serait peut-être même judicieux d’attendre encore un peu. Quelques années, par exemple. Le temps d’un changement de génération ?
Nous n’avons rien à redire au travail de Franck Lepage dans les domaines de l’éducation populaire, du décryptage de la langue de bois du capitalisme néolibéral, du soutien à la socialisation du salaire et à l’abolition de la propriété lucrative portées notamment par Bernard Friot… Bien qu’ayant plusieurs fois critiqué le dangereux confusionnisme d’Etienne Chouard, nous n’avions jamais jusqu’ici critiqué la proximité affichée par Franck Lepage avec l’as du parapente, du citoyennisme all inclusive, et des hurlements contre les « talibantifas » (en chœur avec des canailles comme le nazi demi-mondain Soral ou le visqueux nationaliste Asselineau). Lepage avait d’ailleurs naguère assuré le service minimum en expliquant à Saint Etienne que « Soral, c’est un piège ». On pouvait même comprendre que, sans cautionner son confusionnisme crasse, il conservât quelque indulgence amicale envers son pote de parapente. On avait même évité de commenter leur tournée commune de février 2020. C’est dire si nous avons voulu rester bienveillants.
Dans une émission du 25 novembre 2020 sur RT, Lepage ose effectivement demander à propos de la pandémie de coronavirus : « La question qui se pose, c’est : est-ce que les raisons de ce confinement sont bien celles qu’on nous dit ? Est-ce que ce sont des raisons sanitaires ? »
Ensuite, Lepage pointe les conséquences selon lui du confinement : l’économie à plat, « des gens qui se suicident », mais aussi « des cancers du sein chez des femmes qui doivent attendre 7 mois un dépistage ».
Pourtant, aucune hausse des suicides n’a réellement été observée depuis le confinement, selon Le Monde. Ce qui est à craindre, c’est plutôt une hausse des suicides dus aux conséquences à venir de la crise économique, dont le confinement est un facteur aggravant, bien sûr, mais qui pourrait être compensé par des mesures politiques et sociales, mesures qu’évidemment le gouvernement de droite de Macron ne prendra jamais assez, car cela nécessiterait une socialisation massive de l’économie. Mais pour le coup, ce n’est pas le confinement lui-même qui risque de causer des suicides, mais la politique néolibérale de Macron.
D’après Axel Kahn, le président de la Ligue contre le cancer interrogé par Europe 1 :
« Cette année, du fait de la crise sanitaire de la Covid, il y a un retard considérable dans le diagnostic des cancers en général, et plus particulièrement des cancers du sein. Durant cette période de confinement, sur les trois mois, il n’y a eu que la moitié des diagnostics de cancer auxquels on s’attendait (…) Par conséquent, alors que des retards de diagnostic de deux, trois mois ne doivent pas porter à conséquence normalement, on en est maintenant sans doute dans certains cas à des retards de cinq, six mois ».
C’est donc un vrai problème, certes, imputable au confinement. Cela dit, des hôpitaux ont aussi fait revenir des patientes dès le mois de juin pour compenser, et les retards de 7 mois ne sont peut-être pas une norme, contrairement à l’exemple catastrophiste brandi par Lepage.
Affirmer comme il l’ose que « le résultat du confinement est probablement plus grave que le covid lui-même » est donc pour le moins contestable.
S’ensuit une tirade sur la létalité et la mortalité du virus, qui, selon Lepage, n’aurait pas nécessité de confiner la population, car « 99,5% des gens guérissent ». Avec le même genre de logique, on pourrait dire par exemple que la deuxième guerre mondiale n’a tué que 2,5% de la population mondiale de l’époque et en conclure qu’il n’y avait vraiment pas de quoi en faire un plat. Quand on sait que 100% des gens finissent par mourir de quelque chose, qu’est-ce que c’est qu’une guerre qui ne tue que 2,5% d’entre eux ? Et qu’est-ce donc qu’un virus qui ne tue que 0,5% des malades ? Oui mais non. A l’heure où nous écrivons ces lignes, la covid 19 a tué plus de 50000 personnes en France et près d’un million et demi dans le monde, malgré des mesures drastiques adoptées sur quasiment toute la planète (à des degrés divers), mesures sans lesquelles, n’en déplaise à Franck Lepage, le bilan aurait été beaucoup plus lourd. Une étude estime en outre que les morts de la covid 19 aux Etats-Unis auraient perdu en moyenne plus d’une décennie de durée de vie.
Par ailleurs, Franck Lepage prétend que les malades de la covid 19 qui guérissent « s’en sortent sans aucun problème ». Il néglige du coup l’ensemble des malades qui, certes, survivent à la maladie, mais non sans avoir connu des « problèmes », justement. Certains, même, gardent de graves séquelles. Des patients atteints de « covid long » luttent par exemple pour faire reconnaître ce qu’ils vivent. En Corée, une étude évoque des séquelles persistantes (fatigue, difficultés de concentration, troubles psychologiques ou neurologiques, perte du goût ou de l’odorat…) pour une proportion très importante de malades. Les séquelles pulmonaires (peut-être limitées) ou cardiaques sont toujours mal connues. Décidément, le camarade Lepage va vite en besogne, d’autant qu’il n’hésite pas, péremptoire, à conclure : « probablement que la raison du confinement n’est pas une raison sanitaire ».
Et bizarrement, Lepage s’appuie sur un argument qu’on pourrait tout aussi bien lui opposer : « ça se passe mondialement ». En effet, puisque le phénomène est mondial, l’explication la plus plausible du fait que nombre de pays, y compris ceux qui s’y refusaient le plus au départ (comme le Royaume-Uni), y compris des pays peu suspects de zèle capitaliste (comme Cuba), se soient résolus à des formes de confinement, au détriment de l’économie… n’est-elle pas que ce confinement a bien été jugé nécessaire pour des raisons sanitaires ? Sinon, quelles raisons pouvait bien avoir Boris Johnson de déplaire au patronat anglais ? Imagine-t-on un seul instant que Cuba ait confiné à nouveau La Havane durant le mois de septembre pour plaire à un capitalisme mondial qui lui mène la vie si dure depuis 1959 ?
Lepage, ne voyant pas la contradiction qu’il énonce lui-même, reste sourd aussi au contre-argument de Taddéi qui lui réplique qu’en France, il y a 20 millions de personnes à risque auxquelles le confinement a peut-être sauvé la vie.
« Y a pas d’études qui permettent de dire que le confinement ou même le masque auraient eu le moindre effet » affirme doctement Lepage. Mais c’est faux : il existe plusieurs études, sur l’homme et sur l’animal, à propos des masques. Aucune ne constitue une preuve irréfutable, certes, mais l’ensemble mis bout à bout constitue tout de même un large faisceau d’indices. Quant au confinement, son efficacité a également été montrée par plusieurs études, notamment une de l’Institut Pasteur.
Lepage se dit également surpris par « la rapidité » avec laquelle tout le monde a confiné. Là aussi, son affirmation est contredite par la réalité. On sait aujourd’hui par les confidences maladroites d’Agnès Buzyn que le gouvernement était alerté depuis janvier des risques de pandémie. L’OMS a déclaré l’état d’urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier 2020 puis a officialisé l’état de pandémie le 11 mars et préconisé des mesures pour éviter la saturation des systèmes hospitaliers. La France n’a alors appliqué aucune de ces mesures, et a tardé à confiner, laissant même se dérouler le 15 mars le premier tour des élections municipales alors que l’Italie avait déjà confiné le 9 mars et l’Espagne le 15. La France, elle, n’a confiné que le 17. L’Angleterre n’a confiné que le 24 mars, après avoir dû renoncer contrainte et forcée à la stratégie de l’immunité collective. Les Etats-Unis, actuellement en pleine 3ème vague, paient le prix de l’absence de mesure fédérale.
Lepage se met au niveau Bigard en glosant sur le fait qu’on a confiné les Côtes d’Armor alors qu’il n’y avait « qu’un cas ». Sophisme assez honteux, parce que bien évidemment, un cas décelé à un moment où on ne disposait pas de possibilités de dépistage massif, ça pouvait signifier de nombreux autres cas non détectés, et il s’agissait bien d’empêcher que des clusters se forment dans des régions encore pas trop touchées. Si on attend qu’il y ait des centaines ou des milliers de cas identifiés pour réagir, c’est trop tard. Ajoutons que la Nouvelle-Zélande n’a pas hésité, elle, à confiner partiellement sa capitale le 12 novembre pour un seul cas détecté. Ce n’est peut-être pas un hasard si ce pays est un de ceux qui ont su le mieux maîtriser l’épidémie. Les sarcasmes de Lepage sur les Côtes d’Armor tombent donc d’autant plus à plat. A un autre moment de l’émission, Lepage se laissera encore aller à ce genre de brève de comptoir en évoquant « des petits vieux qui conduisent avec leur masque », comme si le fait qu’un « petit vieux » oublie d’enlever son masque dans sa voiture avait une signification quant à l’utilité globale des masques.
Katia Lang, la partenaire de Lepage au sein du collectif L’Ardeur reste dans le même registre à propos du masque imposé aux enfants dès 6 ans : « qu’est-ce qui peut justifier ça ? » Lepage venait pourtant de concéder un « on n’est pas médecin » qui aurait pu l’inciter à la prudence. Certes, la question de la transmission du virus par les enfants fait débat dans la communauté scientifique, mais des études, notamment en Inde sur 85000 cas, peuvent justifier le principe de précaution. Katia Lang souligne aussi que les enfants ne peuvent porter le masque tout le temps : impossible pour le sport, à la cantine… On mesure bien l’impossibilité de conserver le masque en mangeant. Mais là aussi, il s’agit de comprendre qu’on est dans une logique de diminution des risques. Si on n’enlève son masque qu’à la cantine, on est moins exposé que si on n’en porte jamais. Tout le discours de Lepage et Lang sur « l’analyse systémique » ne vise en fin de compte qu’à nier les nombreuses données sanitaires pour construire la thèse d’un confinement qui n’aurait aucune justification sanitaire mais servirait un dessein secret : c’est ce qu’on appelle communément le complotisme, et on n’entend par là non pas l’épouvantail brandi par les défenseurs du pouvoir pour discréditer toute critique des mensonges du pouvoir, mais bel et bien un recours systématique et abusif à la thèse du complot comme facteur explicatif des événements.
On n’aura évidemment rien à redire sur la critique de la marchandisation et de la destruction des services publics effectuée par Lepage, et il est évident que les capitalistes et leurs valets gouvernementaux peuvent profiter de la pandémie pour avancer dans leur agenda néolibéral. Mais il va trop loin lorsqu’il affirme qu’il faut une « raison supérieure » pour faire accepter cela aux populations, et que cette raison supérieure, « c’est un coronavirus ». Cette formulation laisse entendre que la pandémie serait l’étape d’un plan. Les Illuminati reptiliens sataniques frappent déjà à la porte.
Alors que Taddéi, goguenard, fait mine de s’étonner de cette théorie du complot capitaliste derrière une pandémie qui oblige les gouvernements même les plus libéraux à soutenir l’économie et verser des allocations chômage, tandis que les échanges sont bloqués et que nombre de capitalistes perdent de l’argent, Lepage brandit la notion de « grand reset » qu’il attribue à Christine Lagarde. Les réseaux d’extrême-droite, notamment trumpistes, se sont beaucoup excités sur ce « great reset ». En réalité, c’est un ensemble de vœux pieux pour plus de coopération, une sorte d’actualisation du green washing par lequel le capitalisme mondialisé essaie de se présenter sous un jour progressiste plus sympathique face à la détresse des populations qu’il ne faudrait quand-même pas laisser s’adonner à une remise en cause structurelle du capitalisme. Rien de nouveau sous le soleil, et certainement pas un plan concerté pour résorber la surproduction capitaliste en éliminant les plus faibles au profit des plus forts, contrairement à ce que laisse entendre Lepage (« on va mettre toute l’économie par terre et on va repartir sur des bases différentes »), qui, ironie du sort, reprend ici à son compte une théorie par laquelle les fachos voient à l’œuvre un complot communiste anticapitaliste. Heureusement qu’il précise ensuite qu’il n’y a pas de « gouvernement mondial », et que « les capitalismes » sont en concurrence les uns avec les autres. Mais du coup, il contredit à nouveau lui-même sa propre théorie du confinement planétaire qui serait causé non par des raisons sanitaires mais par le « grand reset ». Des capitalismes concurrents n’auraient jamais pu se mettre d’accord de façon synchronisée pour confiner… à moins d’y avoir été contraints par… des raisons sanitaires, justement. Il faut dire que contrairement à la misère, qui ne touche que les pauvres, le coronavirus peut tuer aussi de vieux capitalistes. « La gouvernance mondiale » qu’invoque Lepage (plutôt qu’un « gouvernement mondial ») nécessiterait un accord secret des multinationales pour obliger les gouvernements à confiner de façon simultanée afin de pouvoir procéder à « la grande réinitialisation ». Mais « ça c’est pas du complotisme », essaie-t-il de nous rassurer. Ben si, quand-même un peu.
Comme le fait malicieusement remarquer Taddéi, la concentration du capitalisme n’a pourtant pas eu besoin du coronavirus pour s’accomplir, au détriment des bistrots, des petits commerces, etc. Il y a bien un effet d’aubaine du coronavirus, qui sert de prétexte à des licenciements par des grands groupes. Mais rien ne permet de dire que le confinement planétaire n’aurait aucune raison sanitaire et serait fait pour favoriser la concentration du Capital et la diminution de la masse salariale.
Philippe Merlant, quant à lui, nous explique après Lepage que la qualification de complotisme est une manière fâcheuse de défendre des « vérités officielles » et prend la défense du film Hold-up sans jamais mentionner que ce film est une œuvre de désinformation réalisée par un illuminé proche du catholicisme le plus réactionnaire. Pas une seconde il ne prend la peine d’en critiquer les thèses, ce qui éclaire du coup singulièrement les propos de Lepage sur la covid 19 et le confinement : dans la même émission, on aura entendu Lepage prétendre que le confinement est motivé par autre chose que des raisons sanitaires, citer le « great reset » et minimiser le danger du virus, puis on aura entendu son pote Merlant prendre la défense de Hold up, un documenteur dont la thèse résumée est : “le Forum économique mondial de Davos se sert de la Covid-19 (maladie qui serait causée par un virus fabriqué par l’homme) dans le cadre d’un “plan global pour soumettre l’humanité”, appelé le “Great Reset”, visant à exterminer les plus pauvres et contrôler le reste de l’humanité via des nanopuces injectées via les vaccins et connectées par la 5G ”.
On ne peut que rejoindre Merlant lorsqu’il affirme que « la confusion sert bien les intérêts des puissants, des dominants », mais il est à déplorer que son propre discours en soit une illustration. Ainsi, quand Lepage se moque du fait que les médias aient mis en avant la présence de groupuscules néonazis dans les manifs anti-masques de Berlin, sous prétexte de dévoiler un mensonge des « médias mainstream » (dont on se doute bien que lors de la couverture d’une manif, ils vont aller chercher le scabreux plutôt que l’inoffensif, car il leur faut bien alimenter le spectacle), il ne fait qu’ajouter de la confusion à la confusion, passant complètement à côté du fait que ces manifs allemandes ont été organisées par des groupes (Widerstand 2020, Querdenken 711…) extrêmement poreux avec le parti d’extrême-droite AFD et imprégnés par les thèmes diffusés par la mouvance Q Anon.
Par exemple, Bodo Schiffmann, un des médecins de l’ACU (groupement de médecins anti-confinement), et acteur des manifs anti-masques, a été publiquement défendu par l’AFD.
Il ne semble pas en être membre lui-même, mais il était déjà impliqué dans les manifs d’extrême-droite contre le confinement en mai 2020. Selon un journal allemand : « Avec ses thèses, Schiffmann est également extrêmement populaire parmi les théoriciens du complot corona. Entre autres choses, il a été invité à une interview de Ken Jebsen – un ancien présentateur de radio qui a diffusé toutes sortes de théories grossières et parfois antisémites sur YouTube depuis son expulsion de la RBB. Les vidéos de Schiffmann sont visionnées des centaines de milliers de fois. » Il fait plus illuminé new age que facho proprement dit, de prime abord, mais : « La métaphore du “corps du peuple”, sur laquelle se fonde Schiffmann, était un concept central de la théorie raciale national-socialiste. »
La devise de la manifestation de Berlin dont parle Franck Lepage, «Jour de la liberté», est également le titre d’un film de la réalisatrice nazie Leni Riefenstahl sur la conférence du parti d’Adolf Hitler NSDAP en 1935.
Selon la chaîne allemande ZDF, « “Widerstand 2020 est actuellement un réservoir diffus : les ennemis de la science rencontrent des théoriciens du complot, des populistes de droite et des opposants de gauche anti-vaccination”, déclare Quent, qui dirige l’Institut pour la démocratie et la société civile à Jena. Il a analysé la présence en ligne de l’organisation. “Le contenu est particulièrement populaire dans les cercles de droite et, dans certains cas, antisémites”. Dans un entretien avec le blog de droite PI News, le membre de l’AfD du Bundestag Hansjörg Müller a déclaré qu’il pouvait imaginer une coopération extra-parlementaire avec Wiederstand2020. “L’AfD tente de se faire l’avocat des manifestations”, estime le sociologue Quent. “Il reste à voir si Widerstand 2020 deviendra une concurrence pour l’AfD en 2020”, dit-il. »
Moment de gêne quand Lepage interpelle « la gauche institutionnelle », accusée d’être silencieuse, et particulièrement la FI, pour lui dire que « l’objet aujourd’hui n’est pas de réclamer la gratuité des masques, c’est de réclamer l’abolition des masques dans la rue ». Certes, aucune donnée scientifique ne plaide en faveur de l’efficacité du masque dans la rue en dehors des zones de grande promiscuité. Cependant, selon Libération, « une étude chinoise publiée sur le réseau JAMA a montré, par exemple, qu’on se touche moins le visage quand on porte le masque en continu. Or, le fait de porter des mains infectées à son nez, ses yeux ou sa bouche est un mode de transmission reconnu du virus. Les experts ont donc tendance à espérer que porter le masque dehors incitera les gens à le garder davantage en milieu clos, là où le risque est plus grand. » N’en déplaise à Lepage, le combat le plus urgent de la gauche est donc bien de réclamer la gratuité des masques et non l’abolition des masques dans la rue. Lutter contre les masques, c’est justement offrir sur un plateau au pouvoir de quoi disqualifier ses opposants comme complotistes. La confusion, décidément, est bien l’alliée du pouvoir.
Katia Lang, enfin, prend au pied de la lettre la propagande de Blanquer (« on est prêt ») pour y voir la preuve d’un plan caché en faveur de l’industrie du numérique. Alors qu’en réalité, les profs et les élèves ont pu mesurer lors du confinement et depuis lors que rien n’était prêt, justement, ni pour la « continuité pédagogique » à distance, ni pour l’accueil des élèves dans le respect du protocole sanitaire. Bien sûr, Blanquer et sa clique sont fascinés par le numérique auquel ils ne comprennent rien et prêts à offrir des contrats juteux à des prestataires privés (leurs copains) si ça peut leur permettre de dégraisser le mammouth et de se donner une image de modernistes, mais la pandémie les a complètement pris au dépourvu comme tout le monde et leurs discours sur la continuité pédagogique en distanciel avec le CNED s’est traduit en réalité sur le terrain par du démerdentiel : rien n’était prêt, rien ne fonctionnait, et une grande partie des élèves était dans l’incapacité de se connecter. Le distanciel n’a d’ailleurs pas du tout été favorisé lors du second confinement, où tout a été fait, au contraire, pour que les profs continuent à accueillir physiquement tous les élèves, en dépit de l’impossibilité d’appliquer le protocole sanitaire renforcé. Il a fallu que les enseignants se mettent en grève, utilisent le droit de retrait, et que des lycéens essaient de bloquer les lycées pour que le ministère concède enfin des aménagements.
Lepage avait déjà dérapé pas mal sur RT il y a quelques mois (« 400 morts par jour je sais pas ce que c’est »), et nous avait inquiété par des marques de soutien au charlatan Raoult durant l’été sur un célèbre réseau antisocial apprécié des boomers. Mais cette fois, avec ses deux acolytes, concluant sur « un petit virus qui ne fait pas tellement de morts », il semble vraiment avoir rejoint Chouard et son parapente aspirés par un castellanus confusionniste :
« Pour comprendre [Etienne Chouard], il faut comprendre comment il fait du parapente, tente d’expliquer Franck Lepage. Vous savez ce qu’est un castellanus ? C’est un nuage qui monte à huit kilomètres. Etienne est le seul mec que je connaisse qui y va volontairement et se fait aspirer là où l’oxygène commence à manquer. (…) Il a une absence totale de peur. »
Il est beaucoup question de refus de la « peur », chez les complotistes anti-masques. Mais face à un danger réel, la peur est une défense plus utile que le déni. Selon la psychanalyste Claude Halmos :
« Certaines craintes aujourd’hui peuvent évoquer des mécanismes phobiques : peur du gluten, des vaccins… Au-delà de la réalité, elles indiquent que les gens se sentent menacés. Et ils ont raison. Parce qu’ils sont vraiment menacés. Mais ils se trompent d’ennemi. Car le plus grand danger ne vient pas pour eux du gluten ou de la viande rouge mais de la crise économique qui peut, demain, en les privant de leur travail et de leurs revenus, porter gravement atteinte à leur vie. Or personne ne les aide à prendre conscience que c’est cela qu’ils craignent : les politiques et les médias sont, sur cette question, muets. Alors les gens restent en proie à une angoisse diffuse et, faute de pouvoir prendre conscience de sa véritable origine, ils l’accrochent sur des objets possibles. (…) À notre époque où l’éducation vacille, beaucoup d’enfants et d’adolescents manquent de repères parce que les adultes ne leur ont pas signifié clairement que certaines choses sont dangereuses. Et qu’en avoir peur (ce qui ne veut pas dire être terrorisé) est non seulement normal mais utile. Parce que la peur est un signal qui protège. Quand une jeune fille de 15 ans m’explique fièrement qu’elle prend seule, la nuit, le dernier RER pour rentrer dans une banlieue lointaine, je ne la félicite pas. Je lui explique que c’est dangereux… »
S’il veut vraiment faire une analyse systémique de la pandémie, dont le capitalisme essaiera évidemment de tirer avantage, Franck Lepage ferait bien de délaisser les élucubrations des Raoult, Perronne, Fouché & co et de s’appuyer sur des sources plus sérieuses, et nullement inféodées au capitalisme pharmaceutique, comme les analyses d’Alexander Samuel, gilet jaune et docteur en biologie moléculaire.
Au cas où quelqu’un.e croirait encore que Macron ferait barrage à l’extrême-droite (malgré la répression brutale contre les mouvements sociaux, les propos racistes sur les Kwassa kwassa ou sur le “boxeur gitan”, la politique anti-migrants, un royalisme presque décomplexé…), nous reproduisons ici un exemple de publications de trolls macronistes sur les réseaux sociaux, dont la source montre la connivence objective qui s’est désormais établie entre la macronie et l’extrême-droite raciste.
En effet, la marche contre l’islamophobie du dimanche 10 novembre 2019 a déclenché une réaction intensive des trolls macronistes dont la nocivité n’est plus à prouver.
Deux exemples :
Cherchons à présent la source de cette photographie légendée, abondamment relayée par les réseaux macronistes. Elle provient d’un tweet d’un certain Antoine Baudino.
Contrairement aux trolls macronistes qui ont opté pour un fond blanc sur Twitter, nous avons préféré un fond « chemise noire » qui sied mieux à l’auteur du tweet :
Les trolls macronistes relayaient donc la propagande d’un assistant parlementaire du sénateur d’extrême-droite (RN) Stéphane Ravier.
Et la cible de ce tweet, outre Mélenchon, est un militant présenté comme « d’extrême-gauche » qualifié de « violent » et accusé d’inviter « des terroristes à des conférences dans son bar « . Toute la macronosphère gobant les mensonges de la fachosphère s’imagine sans doute alors avoir affaire à Daech ou Al-Qaïda. Mais à y regarder de plus près, le camarade ainsi diffamé est en fait un militant antifasciste qui a lui-même été victime d’une agression au couteau dans un contexte de tensions entre antifascistes marseillais et un groupe local de l’Action Française, qui assure parfois le service d’ordre du nazi demi-mondain Alain Soral ou… du sénateur RN Stéphane Ravier, celui-là même dont l’assistant parlementaire a commis ce tweet.
Bref, pour les « progressistes » de LREM, entre les fascistes et les antifascistes, le choix est fait : ils relaient la propagande des fascistes contre les antifascistes, et adhèrent pleinement au racisme islamophobe de l’extrême-droite (dans le contexte, rappelons-le d’un attentat commis contre une mosquée à Bayonne par un ex-candidat FN qui a grièvement blessé deux personnes par balles, d’une agression de l’élu RN Odoul contre une maman voilée accompagnant une sortie scolaire, et de l’embauche par Bolloré sur CNews du délinquant islamophobe Eric Zemmour). Pour les macronistes, c’est bel et bien, comme au bon vieux temps du Comité des forges des années 30 : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ».
Ces gens n’ont jamais fait et ne feront jamais barrage à l’extrême-droite.
Dans un précédent article, « Eric Drouet, gilet jaune ou chemise brune ? », nous nous interrogions sur l’apolitisme affiché par ce routier initiateur sur Facebook des appels au blocage des 17 et 24 novembre. Nous y affirmions, à tort, qu’Eric Drouet était membre d’un groupuscule conspirationniste (le CNT), induits en erreur par une vidéo d’Eric Fiorile, fondateur de ce « Conseil National de Transition » qui s’appuyait sur un reportage de France 3 pour affirmer qu’un «premier appel a été lancé par un membre du conseil national de transition». Comme France 3 parlait du créateur d’une page Facebook d’appel au blocage, nous avions conclu un peu vite qu’il s’agissait de Drouet. En fait, comme l’a révélé le service Checknews de Libération, le barbu qu’on voit dans le reportage de France 3 n’est pas Drouet, mais un certain Franck, initiateur d’un appel local au blocage dans les Alpes-maritimes et non de l’appel national. Pan sur la lunette de l’Observatoire des réseaux, donc. La presse bourgeoise a parfois du bon, du moins lorsqu’elle rémunère des journalistes pour faire les vérifications que de modestes bénévoles comme nous n’ont pas toujours la possibilité de faire.
Le mouvement des « Gilets Jaunes » a été initié suite, notamment, à l’événement Facebook créé pour l’action de blocage du 17 novembre 2018 par un certain Eric Drouet, routier se présentant comme « apolitique ».
Nous ne prétendons pas ici effectuer une analyse politique ou sociologique du mouvement des Gilets Jaunes, ni couvrir d’opprobre un mouvement protéiforme dans lequel sont engagés aussi de simples citoyens, mais également des syndicalistes ou des militants de gauche aux revendications respectables.
Reste que le dénommé Eric Drouet devrait inspirer quelque méfiance aux syndicalistes et militants engagés dans les actions des gilets jaunes.
En effet, si celui-ci se déclare apolitique et n’affiche effectivement aucune appartenance partisane sur sa page Facebook, il y a déjà posté des publications anti-migrants assez typées.
Certains militants syndicaux ou engagés dans les luttes sociales pensent qu’on peut manifester sans sourciller avec l’UPR sous prétexte que « c’est la démocratie » ou que les militants de ce groupuscule nationaliste ni de gauche ni de gauche sont marginaux et qu’il ne faut pas faire attention à eux.
Lors des manifestations du 22 mars 2018 contre la casse des services publics, des militants de l’UPR se sont ainsi immiscés avec leurs banderoles dans le cortège syndical marseillais avant d’en être expulsés par des camarades.
Dans une enquête bien documentée, La fachosphère, parue en 2016 chez Flammarion, les journalistes Dominique Albertini et David Doucet se penchent notamment sur le cas du site « Fdesouche », pionnier de la propagande identitaire raciste sur internet, et toujours particulièrement relayé sur les réseaux sociaux, y compris parfois, hélas, par des internautes peu regardants sur les sources des articles à sensation qu’ils partagent. Nous citons ce passage du livre, qui laisse parler Pierre Sautarel, militant geek d’extrême-droite fondateur de ce site, et qui présente un bon résumé d’une stratégie malheureusement très efficace, déclinée depuis à l’infini par moult autres sites de pseudo-réinformation.
« “La devise sur Fdesouche, c’est de faire le moins d’analyse possible, résume Sautarel d’un débit rapide. Il s’agit de faire passer une idée politique par la concentration et le choix d’articles trouvés ailleurs. On fonctionne sur le principe d’une revue de presse, à base de copier-coller. Ensuite, ce sont nos lecteurs qui font l’analyse : à eux d’analyser, de disserter, et de montrer où est la manipulation s’il y en a une.” »