Dans un précédent article, « Eric Drouet, gilet jaune ou chemise brune ? », nous nous interrogions sur l’apolitisme affiché par ce routier initiateur sur Facebook des appels au blocage des 17 et 24 novembre. Nous y affirmions, à tort, qu’Eric Drouet était membre d’un groupuscule conspirationniste (le CNT), induits en erreur par une vidéo d’Eric Fiorile, fondateur de ce « Conseil National de Transition » qui s’appuyait sur un reportage de France 3 pour affirmer qu’un «premier appel a été lancé par un membre du conseil national de transition». Comme France 3 parlait du créateur d’une page Facebook d’appel au blocage, nous avions conclu un peu vite qu’il s’agissait de Drouet. En fait, comme l’a révélé le service Checknews de Libération, le barbu qu’on voit dans le reportage de France 3 n’est pas Drouet, mais un certain Franck, initiateur d’un appel local au blocage dans les Alpes-maritimes et non de l’appel national. Pan sur la lunette de l’Observatoire des réseaux, donc. La presse bourgeoise a parfois du bon, du moins lorsqu’elle rémunère des journalistes pour faire les vérifications que de modestes bénévoles comme nous n’ont pas toujours la possibilité de faire.
Pour autant notre questionnement au sujet d’Eric Drouet était-il infondé ? Pas tout à fait. Car, comme le rappelle Checknews au sujet de notre article :
« Le site a passé en revue compte Facebook d’Eric Drouet, et se pose la question: «gilet jaune ou chemise brune?» Il s’appuie sur des captures d’écran issues du compte personnel d’Eric Drouet, où il partage une vidéo anti-migrants, et une autre où il est reproché à Macron de dépenser «plusieurs milliards» pour l’immigration. Eric Drouet a supprimé toutes ses publications Facebook jusqu’au 18 novembre 2018 (à part un album photos de voiture) mais CheckNews, qui avait déjà parlé d’Eric Drouet dans cet article sur l’origine du mouvement des gilets jaunes, avait parcouru son compte Facebook. Nous notions ainsi qu’il y avait «des contenus ouvertement anti-macronistes» sur sa page. Les vidéos pointées par l’Observatoire ont bien été publiées. Eric Drouet répond aujourd’hui: «Il ne s’agit pas d’une vidéo antimigrants mais de routiers qui se font agressés par des migrants. Beaucoup de mes amis routiers subissent de graves violences». »
De notre côté, nous n’irions certainement pas reprocher à Drouet d’avoir publié sur sa page Facebook « des contenus ouvertement anti-macronistes ». Il nous semble même difficilement concevable de ne pas le faire, après la suppression de l’ISF, la destruction du code du travail, la chasse aux migrants, la casse des services publics ou l’affaire Benalla, pour ne citer que les éléments les plus marquants de la première année de règne du président des riches. Pas besoin assurément d’être très politisé pour cela. Et l’on conviendra aisément que la politique de classe violemment antisociale menée par Macron aura eu le mérite de politiser contre elle même les citoyens les plus rétifs à la chose politique.
Mais la vidéo en question, que Drouet avait postée sur son « mur » Facebook, est belle et bien anti-migrants, quoi qu’il en dise :
Les commentaires faits par celui qui a tourné la vidéo dépeignent les migrants en termes plus que péjoratifs, ne montrant aucune trace de compassion pour leur sort (après avoir fui la misère ou la guerre, ils s’entassent à Calais où on leur barre la route de l’Angleterre, sans possibilité de travailler ni de se loger ; et si certains dévalisent des camions, ce n’est assurément pas pour le plaisir ni pour nuire aux routiers !). Pour les autres publications douteuses d’Eric Drouet, nous renvoyons vers notre précédent article. Nous maintenons que celles-ci permettent de s’interroger légitimement sur le prétendu apolitisme de Drouet, et présentent des marqueurs de l’extrême-droite.
Un autre média, Le Parisien, a enquêté non seulement sur Drouet mais aussi sur les 7 autres « porte-parole » auto-désignés des Gilets Jaunes, nous faisant l’honneur de relever notre erreur sur Drouet, qualifiée abusivement de « fake news » et « d’intox » (il s’agissait bien de notre part d’une erreur de bonne foi, depuis reconnue et rectifiée, et non d’une volonté de tromper les lecteurs par une fausse nouvelle), mais omettant de mettre un lien vers notre site, ce qui aurait permis aux lecteurs du Parisien de vérifier par eux-mêmes. Déformant les propos de Checknews, Cyril Simon, l’auteur de l’article, affirme aussi que Drouet aurait eu à répondre au sujet de vidéos anti-migrants postées sur sa page « La France en colère ». En fait, les deux vidéos que nous avions remarquées, et au sujet desquelles Checknews a interrogé Drouet, ont été publiées sur sa page personnelle.
Il est amusant de constater que Le Parisien établit bien tout de même lui aussi un lien entre ces porte-parole et le CNT : Priscillia Ludosky, l’auteure de la pétition en ligne contre la hausse des taxes sur le carburant, aurait partagé « une photo du Conseil national de transition (CNT) soutenant les Gilets jaunes ». A y regarder de plus près, elle la partage pour la dénoncer comme une imposture et appelle même les gens à signaler à Youtube la vidéo de Fiorile.
L’enquête du Parisien, malgré ces quelques erreurs, apporte un éclairage utile sur quelques uns de ces porte parole : Matthieu Blavier, l’étudiant en droit, dont le grand-père serait un élu d’extrême-droite (DLF), aurait « liké » des publications anti-migrants de Marion Maréchal-Le Pen et un commentaire de Dieudonné ; Julien Terrier, ancien militaire, serait amateur d’armes et d’auto-défense, et suivrait une page Facebook à teneur complotiste ; Thomas Miralles serait un ancien candidat du FN (info confirmée par d’autres sources) ; et enfin Maxime Nicolle alias Fly Rider, aurait « liké » des publications anti-migrants et des posts de Marine Le Pen. A propos de ce dernier, nous pouvons ajouter une info, transmise par une de nos lectrices. A 14’53 sur cette vidéo, très à l’aise, il tient un discours sur les retraités qui seraient moins bien traités que les « migrants illégaux » (il s’agit là bien sûr d’un fantasme d’extrême-droite) :
Au final, d’après l’enquête du Parisien, 5 « porte-parole » sur 8 semblent présenter des accointances avec l’extrême-droite. Bien évidemment, cela ne fait pas du mouvement des Gilets jaunes un mouvement d’extrême-droite, mais les Gilets jaunes qui auront peut-être dans les jours qui viennent à se doter de représentants pourront constater que certains des postulants ne sont pas aussi « apolitiques » qu’ils veulent bien le dire.