Discuter avec l’huppé air ?

Certains militants syndicaux ou engagés dans les luttes sociales pensent qu’on peut manifester sans sourciller avec l’UPR sous prétexte que « c’est la démocratie » ou que les militants de ce groupuscule nationaliste ni de gauche ni de gauche sont marginaux et qu’il ne faut pas faire attention à eux.

Lors des manifestations du 22 mars 2018 contre la casse des services publics, des militants de l’UPR se sont ainsi immiscés avec leurs banderoles dans le cortège syndical marseillais avant d’en être expulsés par des camarades.

Statut Facebook d’un militant de l’UPR

 

Nous n’allons pas revenir ici sur ce que représente politiquement l’UPR dont le fond de commerce consiste à mêler souverainisme et complotisme (voir par exemple le dossier des camarades Debunkers sur le hoax « Hallstein »). Pour celles et ceux qui auraient échappé au flooding des trolls de l’UPR sur les réseaux sociaux et ignoreraient encore tout de la pensée d’Asselineau, voir par exemple cette courte présentation par le vidéaste Usul de ce technocrate post-pasquaïen :

Mais revenons plutôt sur ce mantra stérile : « il faut discuter avec tout le monde », remis au goût du jour, voire étendu à : « il faut manifester avec tout le monde », et examinons les arguments des tenants de cette mode.

Argument numéro 1 : « La rue est à tout le monde ».
Oui et non : en « démocratie » (nous désignons ici par ce terme usuel le système oligarchique garantissant quelques libertés minimales et non bien sûr l’idéal émancipateur de « pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple »), la liberté de manifester est encadrée. Prenons un exemple : quand le FN manifeste, la police encadre l’événement pour empêcher les militants antifascistes de venir le troubler. Il en est de même à l’inverse… Et de même, il est compréhensible que le service d’ordre d’une manifestation syndicale ou de gauche empêche par exemple un provocateur facho soralien comme Vincent Lapierre de venir filmer des gens sans leur consentement (pour en faire ensuite une mise en scène crapuleuse). La rue est à tout le monde, certes, mais on n’est pas obligé de cheminer avec tout le monde ni de mélanger des expressions antagonistes. Les militants de gauche ou d’extrême-gauche ne vont pas jouer les coucous dans les manifs de l’UPR (bon, l’UPR n’organise pas de manif, mais vous voyez l’idée). « La rue », c’est vaste, et quand des organisations en investissent une portion avec leurs drapeaux, leurs mots d’ordre et leurs objectifs, il n’y a aucune raison qu’une organisation adverse vienne au même endroit au même moment avec ses propres drapeaux, ses propres mots d’ordre et ses propres objectifs.

Argument numéro 2 : « Vous ne pouvez pas décider de qui a le droit de manifester ».
En théorie, tout le monde peut rejoindre anonymement le cortège de son choix. Peut-être y a-t-il au sein de certains cortèges syndicaux des électeurs du FN, par exemple. A eux de se débrouiller avec la contradiction qu’il y a à manifester pour une cause que combat le parti antisocial pour lequel ils votent (voire militent, dans le cas de FO, seule grande organisation syndicale qui ne s’inscrit pas dans les luttes antifascistes et n’interdit pas à ses membres l’adhésion à un parti d’extrême-droite).
Mais de là à récupérer une manif à des fins d’affichage politicien au mépris du thème de la manif, il y a un pas que nulle organisation syndicale, pas même FO, ne saurait accepter.
Ni Florian Phillipot, souverainiste d’extrême-droite (qui a jugé plus prudent de se tenir à distance de la manif parisienne des cheminots le 22 mars), ni l’UPR, parti souverainiste conspirationniste, n’ont leur place en tant que personnalité et organisation connues, dans une lutte sociale. S’ils avaient voulu manifester sincèrement selon les mots d’ordre des organisteurs, les militants de l’UPR auraient pu le faire en s’intégrant individuellement aux cortèges syndicaux, par exemple. Personne (ou presque) ne les aurait remarqués. Mais le 22 mars, ils ont tenté de s’immiscer dans le cortège syndical marseillais avec une banderole pour le FREXIT (sortie de la France de l’UE), d’abord sur un point fixe puis carrément en fin de cortège. 

Quoi qu’on pense de l’idée de sortie de l’Union européenne, ce n’était pas le thème du jour (sauver nos services publics). A noter d’ailleurs que le Brexit n’empêche nullement l’Angleterre libérale de continuer de son côté à saccager ses propres services publics.
Cette manif était organisée par des syndicats. Ceux-ci avaient parfaitement le droit de décider qu’ils ne voulaient pas manifester avec un groupe de nationalistes monomaniaques.

Argument numéro 3 : « Oui mais faut discuter ».
Lorsque les syndicalistes et les militants de gauche ont établi un cordon de sécurité pour empêcher les militants de l’UPR de continuer à marcher avec le cortège marseillais le 22 mars, une « discussion » s’est effectivement engagée. Avec du côté de l’huppé air, des arguments de fond du genre : « Je vous pisse à la raie », « Vous êtes les putes de Macron ». Voilà un paradoxe étonnant de la posture des dévôts de« l’article 50 » : pourquoi vouloir manifester à tout prix avec les « putes de Macron » ? Tout simplement pour faire la pub de leur petite boutique fétichiste. Cela ne doit pas être accepté.
Notons l’amusante contradiction soulevée par les militants de l’UPR eux-mêmes dans leur récit de l’événement : ils se vantent de s’être imposés par la force du nombre (sic) face aux syndicalistes de SUD (censés avoir été les seuls à leur barrer le passage), mais ils se plaignent d’avoir été bloqués plus loin par un prompt renfort de « complices » (donc, ou bien les militants de SUD étaient en fait plus nombreux que ceux de l’UPR, ou bien ils n’étaient pas si isolés que ça et ont reçu le renfort d’autres organisations syndicales : dans tous les cas, l’incruste de l’UPR n’a donc pas été si bien accueillie que ça et s’est terminée par un piteux « frexit » hors de la manif).
Entre deux insultes, ces drôles de militants ont abreuvé les manifestants de leur propagande. Exemple : pour accuser les organisateurs d’être des « syndicats jaunes », ils ont soutenu que la confédération européenne des syndicats (dont font partie la CGT, FO, la CFDT, la CFTC et l’UNSA, mais pas l’union des syndicats SUD-Solidaires) touchait des subventions de la Commission européenne.
Ce n’est pas faux (exemple : il y a 18 millions de subventions pour la « mise en place de mesures d’information et de formation pour les organisations de travailleurs »). Mais ce genre d’argument n’a pas de sens. C’est comme si nous disions ici que l’UPR est un allié de l’UE car elle se présente aux élections européennes et vise donc à être financée via ses élus (bon l’UPR n’a pas d’élus, mais elle ambitionne néanmoins d’en avoir).

Ajoutons qu’une manifestation n’est pas un lieu de discussion entre adversaires politiques. Pour les militants syndicaux ou politiques qui rêveraient de discuter avec ce groupuscule déjà hyper-présent sur les réseaux sociaux via un trolling invasif, les occasions et les lieux de débat ne manquent pas…

2 réflexions au sujet de « Discuter avec l’huppé air ? »

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